Le dépassement des partis ou le risque de la disparition des idéologies

Dépasser les partis ? Pour quoi faire ?

L’élection de Macron signe aujourd’hui la victoire d’une vision qui voudrait que les partis politiques soient la cause des défaillances observées dans notre démocratie actuelle.

Cela renvoi d’ailleurs à une vision ancienne ayant conduit à la mise en place de la 5ème République, puisque le général De Gaulle lui-même justifiait ainsi la mise en place du suffrage universel pour l’élection du président. Il faut selon-lui, que le chef de l’État soit au dessus de la mêlée afin qu’il dirige son gouvernement dans l’intérêt de tous, et non dans l’intérêt d’une fraction de la population :

Cette vision comporte évidemment des failles. En effet, dans la constitution, il est clairement exposé que  :

« Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.

Ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au second alinéa de l’article 1er dans les conditions déterminées par la loi. (“La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.”)

La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. »

En réalité, le rôle des partis n’est pas de diviser les citoyens entre eux en fonction de leurs inclinations, mais bien de les rassembler politiquement en fonction de grandes idéologies afin que l’on puisse arbitrer entre les différentes visions politiques présentent dans la société.

Les idéologies permettent a chaque individu d’adopter une analyse du monde, une explication de la réalité sociale et économique. Vouloir abandonner ou dépasser les partis qui portent ces idéologies, ce serait admettre que toutes les idéologies se trompent et qu’il serait possible de prendre les bonnes décisions sans aucun a priori d’aucune sorte.

Technocratie / Idéologie :

Et si la macronisation des esprits nous conduisait à une dictature technocratique ?

L’aboutissement d’une telle réflexion, et sa victoire électorale récente, nous livre en réalité à la technocratie, à savoir une forme de gouvernement des “sachants”, bien formés, bien placés dans la hiérarchie institutionnelle et qui peuvent donner l’illusion que lorsque l’on possède les données d’un problème, la solution s’impose d’elle même, un peu comme l’arithmétique.

Cette pseudo idéologie technocratique pourraient fonctionner si notre société n’était que pure mécanique, et encore, pour un ingénieur il existe souvent de multiples solutions pour résoudre un même problème, et il est souvent obligé d’en tester plusieurs avant de choisir celle qui semble la plus efficiente.

Notre société est bien plus complexe qu’une simple machinerie mécanique, elle est traversée par des dynamiques sociales, des transformations, des évolutions qui dépassent les capacités d’adaptation de nos institutions. Pourtant, nous écrivons aujourd’hui la loi, plus où moins de la même manière qu’il y a 2 siècles. C’est plutôt de ce constat qu’il faudrait tirer des solutions à l’inefficacité actuelle de notre système, et associer les citoyens à l’élaboration des lois et des règlements, afin qu’ils s’en réapproprie la complexité, les équilibres à trouver, et contribuer enfin à mettre en sourdine la vague populiste qui tire si facilement son épingle du jeu dans le climat actuel.

L’intérêt des idéologies et des partis face à une technocratie froide, c’est qu’ils poursuivent un idéal, ce dernier est normalement fondé sur les valeurs commune de la société, schématiquement pour le cas de la France, ces valeurs sont bien représentées par notre devise : “Liberté, Égalité, Fraternité”. Ils diffèrent ensuite sur les moyens d’atteindre cet idéal, et sur les causes qui empêchent de l’atteindre.

La technocratie en revanche ne possède aucun idéal, si ce n’est celui de la gestion de l’État, elle ne possède aucun objectif, ni aucun préjugé concernant les causes et les solutions. la technocratie ne choisie aucun cap, si ce n’est celui du sens du vent. Sa vision du monde est uniquement comptable, mesurable. Finalement, elle ne recherche aucune transformation de la société, mais uniquement son maintien dans un état de fonctionnement viable.

La réalité rattrapera cependant cette technocratie, puisque la classe dirigeante n’est pas neutre politiquement, elle est, elle-même, bercée d’idéologies. Cette élite est également souvent le produit des mêmes milieux sociaux, des mêmes écoles, des mêmes parcours professionnels. Ce fait élitiste actuel ne disparaîtra pas avec l’abandon des idéologies, au contraire, il le renforcera en fermant le faible accès existant de la nouveauté à travers les idéologies et les partis. L’appareil d’État sera donc livré à une forme d’idéologie dominante que personne n’aura pu choisir, mais qui s’imposera d’elle-même sans qu’il soit possible de l’infléchir. Elle s’auto-justifiera en expliquant que chaque décision est la meilleure possible.

Pour finir, je vous invite à regarder le très bon documentaire :

Ces conseillers qui nous gouvernent

Il montre avec brio les stratégies technocratiques, et la difficulté de gouverner une administration, même lorsque l’on possède une idéologie forte et une bonne connaissance des rouages.

Pour celles et ceux qui souhaitent poursuivre la discussion, vous pouvez bien entendu le faire en commentaire. Sachez toutefois qu’une discussion riche est déjà engagée sur Facebook et que vous pouvez la rejoindre :

La discussion Facebook

Un revenu universel, des visions plurielles

Un revenu universel, des visions plurielles

 

Depuis que le philosophe Thomas Paine, s’est exclamé en 1792 du haut de la tribune de l’Assemblée nationale : « sans revenu, point de citoyen », l’idée d’un revenu citoyen n’a cessé de faire son chemin. Jusque-là cantonnées à la sphère intellectuelle, les propositions de Benoît Hamon et de Yannick Jadot, lors de la présidentielle 2017, ont porté le débat auprès du grand public.

Ce nouvel engouement, qui s’est diffusé notamment via Internet, a remis sur le devant de la scène l’ensemble des propositions émises par de nombreux philosophes, économistes, journalistes, sociologues. Mais les différences de nature entre les propositions, et les visions qu’elles soutiennent, sont substantielles.

Les libéraux voient dans le revenu d’existence une roue de secours du capitalisme. Les perspectives montrent peu ou prou que les effets de la « robolution » et de la progression de l’intelligence artificielle vont engendrer dans les dix prochaines années la disparition d’environ 45 % des emplois (source : rapport du MIT). Le nombre de personnes évoluant en dessous du seuil de pauvreté devrait alors rapidement dépasser les 20 %. Et les conséquences pour l’économie seront catastrophiques, car une partie des classes moyennes, autrefois en mesure de maintenir le système à flot, sera précarisée.

Les libéraux souhaitent donc un plan Marshall de la consommation. En octroyant un revenu universel, la prolongation du système capitaliste serait assurée, pour quelques années encore.

Selon eux, le dispositif réduirait les tensions entre travailleurs et entreprises, facilitant les reconversions, l’accès à la formation, libérant la créativité et les partages d’expérience, réduisant les temps d’activité et fluidifiant globalement le marché du travail. Les coûts de santé publique diminueraient mécaniquement : moins d’arrêts maladie, moins de pathologies liées au stress et au surmenage, moins de souffrance au travail, etc.
L’opportunité de réduire la protection sociale et l’ingérence de l’État est la deuxième raison qui pousse les libéraux à soutenir le revenu universel.

Beaucoup de propositions financent le RU par intégration des prestations sociales non contributives (RSA, allocations familiales) et certaines vont jusqu’à intégrer des prestations sociales contributives (chômage et retraites). D’autres, plus malines, proposent par exemple d’augmenter des cotisations sociales qui n’auraient pas d’équivalent patronal (augmentation de la CSG chez de Basquiat- Revenu Liber).

Selon le philosophe Bernard Stiegler, la mise en place du revenu universel dans sa version libérale (situé entre 500 € et 800 €), pourrait s’avérer dangereuse, s’il devient « un blanc-seing pour transformer la société vers encore plus de dérégulation, donc d’incurie et de prolétarisation ».

Il deviendrait un RSA pour tous, sans grand espoir de gagner plus, et donnerait l’opportunité à certaines entreprises d’accroître leurs bénéfices, laissant un marché du travail-emploi soumis aux pressions sur les salaires et sans espoir d’émancipation pour les travailleurs.

À l’opposé, le revenu universel représente un outil d’émancipation et de lutte contre les discriminations pour de nombreux autres intellectuels, avec l’ambition de permettre aux bénéficiaires de vivre librement et dignement. Le revenu universel rendrait possible le double objectif de libérer le peuple du travail-emploi et de lutter contre la pauvreté, avec un véritable revenu d’existence et non un simple revenu de subsistance. Cette vision progressiste ouvre de nouvelles perspectives et des paradigmes sociétaux inédits. Certains vont jusqu’à proposer une socialisation globale de l’économie (Bernard Friot – Le salaire à vie).

Leur projection sur notre infographie montre le potentiel de modification systémique que ces propositions pourraient apporter. Alors que les propositions des libéraux ne remettent pas en cause les équilibres fondamentaux du système actuel, les propositions du quart nord-est de l’infographie font apparaître des modèles potentiellement innovants. Bernard Stiegler propose, au-delà du revenu de base, un revenu contributif basé sur le modèle des intermittents du spectacle. Le principe est testé en ce moment à Plaine Commune.

Yann Moulier-Boutang se singularise, quant à lui, par le mode de financement de son RU, qui consiste à appliquer une taxe sur les flux de capitaux. D’un montant de 2 %, cette taxe pourrait financer un revenu de base de 1200€ pour l’ensemble des Français, sans toucher aux autres équilibres. Yoland Bresson propose de son côté que la création monétaire bénéficie directement aux individus. Enfin, Bernard Friot, avec son salaire à vie, se distingue par son ambition d’élargir le modèle de la Sécurité sociale aux salaires, via des cotisations alimentant des caisses de répartition. La plupart de ces modèles fixent un niveau de revenu universel au niveau du Smic actuel et au-delà, permettant d’assurer à l’ensemble de la population un revenu d’existence suffisant pour permettre leur émancipation par rapport au travail contraint.

Pour autant, ces modèles ne sont pas tous aboutis, laissant place à la détermination de certains seuils ou de certaines mécaniques par la concertation démocratique. Ces réflexions appellent des réponses à des questions fondamentales sur la notion de travail comme sur celle de la valeur.

Quel est le processus de construction de la valeur ?

Le travail libre est-il productif ?

Quelle est la nature d’une contribution ?

Des problématiques fondamentales qui appellent à l’avenir un débat conceptuel passionnant.

 

Serge Bastidas, Gwendal Uguen, Aurélien Vernet, Martial Bouilliol

L’erreur des macronistes

Les macronistes ont été indignés par les prises de paroles de JLM, ou plutôt par l’absence de prise de parole, puisque celui ci, conformément à son aspiration démocrate, a souhaité laisser ses électeurs choisir leur point de vue à leur guise.

Certes, la réaction de nombreux “Insoumis” a consisté en un premier temps à hurler ” Jamais je n’irai voter Macron”. Il s’agissait bien entendu d’un rejet logique, on ne peut pas demander à quelqu’un qui aspire à l’égalité sociale, qui souhaite la paix dans le monde, la concorde et la sauvegarde de la planète, de souscrire à un programme ultra-libéral, porteur de destruction écologique et de renforcement des inégalités au profit des riches et en maintenant la plus grande partie du peuple dans la précarité. Le chantage au vote, du fait de la présence du FN, conséquence des politiques libérales depuis la révolution tatchérienne, le chantage au vote est devenu une habitude et le peuple de gauche n’en peut plus.

Toutefois, il était tout aussi logique qu’après réflexion, la raison l’emporterait. Ou plutôt la nécessité absolue de faire barrage à l’ignoble.

Une des caractéristiques de la gauche est de s’entre-déchirer. Nous sommes capables d’oublier le vrai danger et de retourner notre ressentit contre les personnes qui participent à la même lutte que nous mais présentent des divergences. Une fois les choses calmées nous retrouvons en général l’esprit de la convergence. Mais dans l’intervalle, la tempête est parfois rude.

La première erreur des macronistes est de ne pas avoir donné le temps à la tempête de se calmer toute seule traduisant leur inculture sociologique.

La deuxième erreur a été la stigmatisation organisée. Les macronistes n’ont cessé d’utiliser l’insulte, manier le mépris, accabler JLM, tout le contraire de ce qu’il fallait faire. L’attitude méprisante de certains militants l’aura été jusqu’au bout, renforçant la méfiance du macronisme au sein du peuple de la gauche radicale, ce qui est un comble car le parti contre lequel il fallait s’opposer était bien évidemment le FN.

Enfin, le choix de l’argument n’était pas le bon. Aller accuser les “insoumis” de complicité avec le racisme est pour le moins une incroyable sottise et au pire la plus terrible des insultes quand on connait leur implication dans les luttes de toutes sortes contre le fascisme.

Les macronistes ont perdu leur lucidité, et ils porteront donc une lourde responsabilité dans le poids des abstentionnistes et du vote blanc.

Alors je me suis demandé pourquoi leur attitude avait été aussi peu stratégique et finalement contre-productive. En fait, ce qui a cristallisé leur attitude, c’est leur haine de Mélenchon et de la gauche radicale. Leur haine du communisme. Elle est viscérale, fondamentale. Leur rejet et leur dégout de tout système alternatif qui convoquerait un partage ou une meilleure répartition des richesses. Leur attachement sans limite à la propriété privée et à l’accumulation infinie du capital.

A partir de là, selon eux, les « Insoumis » ne pouvaient qu’incarner des êtres d’incompréhension. Ils étaient forcément dans l’erreur, dans le faux. Ils devenaient des ennemis.

La volonté de maintenir un système de domination basé sur la richesse matérielle va une fois de plus marquer cette élection, qu’elle entérine la victoire du libéralisme ou celle du fascisme. Mais il ne faudra jamais oublier une chose. La France libérale méprise tout autant le vote FN que l’insoumission de l’Avenir en Commun. Cette France libérale considère de la même façon les électeurs FN que les électeurs de la gauche radicale. Il s’agit pour eux dans les deux cas que de la vulgate populiste…

 

Martial Bouilliol

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