Un revenu universel, des visions plurielles

Un revenu universel, des visions plurielles

 

Depuis que le philosophe Thomas Paine, s’est exclamé en 1792 du haut de la tribune de l’Assemblée nationale : « sans revenu, point de citoyen », l’idée d’un revenu citoyen n’a cessé de faire son chemin. Jusque-là cantonnées à la sphère intellectuelle, les propositions de Benoît Hamon et de Yannick Jadot, lors de la présidentielle 2017, ont porté le débat auprès du grand public.

Ce nouvel engouement, qui s’est diffusé notamment via Internet, a remis sur le devant de la scène l’ensemble des propositions émises par de nombreux philosophes, économistes, journalistes, sociologues. Mais les différences de nature entre les propositions, et les visions qu’elles soutiennent, sont substantielles.

Les libéraux voient dans le revenu d’existence une roue de secours du capitalisme. Les perspectives montrent peu ou prou que les effets de la « robolution » et de la progression de l’intelligence artificielle vont engendrer dans les dix prochaines années la disparition d’environ 45 % des emplois (source : rapport du MIT). Le nombre de personnes évoluant en dessous du seuil de pauvreté devrait alors rapidement dépasser les 20 %. Et les conséquences pour l’économie seront catastrophiques, car une partie des classes moyennes, autrefois en mesure de maintenir le système à flot, sera précarisée.

Les libéraux souhaitent donc un plan Marshall de la consommation. En octroyant un revenu universel, la prolongation du système capitaliste serait assurée, pour quelques années encore.

Selon eux, le dispositif réduirait les tensions entre travailleurs et entreprises, facilitant les reconversions, l’accès à la formation, libérant la créativité et les partages d’expérience, réduisant les temps d’activité et fluidifiant globalement le marché du travail. Les coûts de santé publique diminueraient mécaniquement : moins d’arrêts maladie, moins de pathologies liées au stress et au surmenage, moins de souffrance au travail, etc.
L’opportunité de réduire la protection sociale et l’ingérence de l’État est la deuxième raison qui pousse les libéraux à soutenir le revenu universel.

Beaucoup de propositions financent le RU par intégration des prestations sociales non contributives (RSA, allocations familiales) et certaines vont jusqu’à intégrer des prestations sociales contributives (chômage et retraites). D’autres, plus malines, proposent par exemple d’augmenter des cotisations sociales qui n’auraient pas d’équivalent patronal (augmentation de la CSG chez de Basquiat- Revenu Liber).

Selon le philosophe Bernard Stiegler, la mise en place du revenu universel dans sa version libérale (situé entre 500 € et 800 €), pourrait s’avérer dangereuse, s’il devient « un blanc-seing pour transformer la société vers encore plus de dérégulation, donc d’incurie et de prolétarisation ».

Il deviendrait un RSA pour tous, sans grand espoir de gagner plus, et donnerait l’opportunité à certaines entreprises d’accroître leurs bénéfices, laissant un marché du travail-emploi soumis aux pressions sur les salaires et sans espoir d’émancipation pour les travailleurs.

À l’opposé, le revenu universel représente un outil d’émancipation et de lutte contre les discriminations pour de nombreux autres intellectuels, avec l’ambition de permettre aux bénéficiaires de vivre librement et dignement. Le revenu universel rendrait possible le double objectif de libérer le peuple du travail-emploi et de lutter contre la pauvreté, avec un véritable revenu d’existence et non un simple revenu de subsistance. Cette vision progressiste ouvre de nouvelles perspectives et des paradigmes sociétaux inédits. Certains vont jusqu’à proposer une socialisation globale de l’économie (Bernard Friot – Le salaire à vie).

Leur projection sur notre infographie montre le potentiel de modification systémique que ces propositions pourraient apporter. Alors que les propositions des libéraux ne remettent pas en cause les équilibres fondamentaux du système actuel, les propositions du quart nord-est de l’infographie font apparaître des modèles potentiellement innovants. Bernard Stiegler propose, au-delà du revenu de base, un revenu contributif basé sur le modèle des intermittents du spectacle. Le principe est testé en ce moment à Plaine Commune.

Yann Moulier-Boutang se singularise, quant à lui, par le mode de financement de son RU, qui consiste à appliquer une taxe sur les flux de capitaux. D’un montant de 2 %, cette taxe pourrait financer un revenu de base de 1200€ pour l’ensemble des Français, sans toucher aux autres équilibres. Yoland Bresson propose de son côté que la création monétaire bénéficie directement aux individus. Enfin, Bernard Friot, avec son salaire à vie, se distingue par son ambition d’élargir le modèle de la Sécurité sociale aux salaires, via des cotisations alimentant des caisses de répartition. La plupart de ces modèles fixent un niveau de revenu universel au niveau du Smic actuel et au-delà, permettant d’assurer à l’ensemble de la population un revenu d’existence suffisant pour permettre leur émancipation par rapport au travail contraint.

Pour autant, ces modèles ne sont pas tous aboutis, laissant place à la détermination de certains seuils ou de certaines mécaniques par la concertation démocratique. Ces réflexions appellent des réponses à des questions fondamentales sur la notion de travail comme sur celle de la valeur.

Quel est le processus de construction de la valeur ?

Le travail libre est-il productif ?

Quelle est la nature d’une contribution ?

Des problématiques fondamentales qui appellent à l’avenir un débat conceptuel passionnant.

 

Serge Bastidas, Gwendal Uguen, Aurélien Vernet, Martial Bouilliol

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