Quel est, ou plutôt que devrait être, le combat à mener pour la gauche radicale ?
La gauche radicale devrait avoir pour mission et pour ambition d’éveiller l’esprit critique permettant au peuple de développer ses propres moyens intellectuels afin de prendre conscience de toutes les formes de domination et de lutter farouchement contre. Il s’agit pour chacun d’entre nous de nous émanciper face à toutes les formes d’emprise et de contrôle exercés par le pouvoir dominant.
Dans la guerre de l’esprit entamée par le pouvoir dominant, il s’agit de faire barrage aux structures de l’inconscient qui ont été abondamment nourries de concepts/symboles destinés à forger nos représentations sociales. Ces concepts archétypaux utilisent principalement les média pour construire une doxa à laquelle notre conscience est soumise par le biais de notre inconscient. Il s’agit donc de mettre en place un agencement articulant les différentes strates mémorielles.
L’émancipation est donc rendue délicate mais l’enjeu est bien là. Huxley, Chomsky, Adorno, Bourdieu, Stiegler et bien d’autres penseurs de notre époque ont parfaitement montré le caractère fondamental de ce qui était en train de se passer.
Une fois émancipé, l’individu obtient une grille de lecture de la domination dont il est l’objet.
Ses combats sont censés être plus efficaces. Sa grille de lecture lui donne de la pertinence lorsqu’il s’oppose aux impérialismes, aux stigmatisations communautaires, au racisme, à la domination économique, aux patriarcats et à toutes les formes d’expression de la domination, y compris également dans l’intersectionnalité, combinaison de plusieurs discriminations.
Dans la lutte contre les formes de domination, il ne faut bien entendu pas oublier la lutte contre la religion. Si la religion s’est élaborée autour de mythes construits par l’homme afin de lutter contre la peur de la mort, elle a parallèlement généré une aliénation tout aussi forte que celle engendrée par le capitalisme qui a d’ailleurs dû lutter contre cette première aliénation pour imposer la sienne, en particulier en occident.
L’émancipation est immanente et ne peut être transcendante. Elle exclue de fait toute forme de vérité révélée. La vérité, si elle existe, doit être trouvée par soi même et le chemin de la recherche importe d’ailleurs plus que le but. L’émancipation se construit à partir d’une démarche ésotérique, de voyance et non pas de croyance, d’observation et non pas de réception.
Le préalable à toute forme de combat émancipatoire est l’introspection, la visite de l’intérieur de soi, et non pas l’adhésion en un grand récit faisant intervenir un dieu et un démiurge extérieur.
Paradoxalement, une partie de la gauche radicale affiche une complaisance étrange vis à vis de l’islam. Elle qui emboite volontiers le pas lorsqu’on fustige les structures catholiques devient tout d’un coup particulièrement sensible dès lors qu’il s’agit de formuler une critique à l’égard de l’islam. Cette partie de la gauche radicale souvent qualifiée péjorativement « d’islamo-gauchisme » affiche un soutien ferme à l’islam dans un souci bien compréhensible de défendre une communauté fragile stigmatisée, nouveau bouc émissaire des sociétés occidentales.
Certes, et le livre du A.Hajjat et M.Mohammed (Islamophobie – Edition La Découverte – 2013) le montre parfaitement, il y a une intolérance forte à l’arabo musulman.
Toutefois, nous devons rappeler ce que l’on rappelle souvent au raciste, il ne faut pas faire d’amalgame… Le musulman n’est pas l’arabe et l’arabe n’est pas le musulman, il convient de se garder de toute essentialisation.
C’est ce qui rend le travail difficile, c’est qu’il nous faut lutter à la fois contre toutes les formes de domination et simultanément lutter contre toutes les formes de religions. Sur le terrain de l’islam, cela tient parfois d’une gageure. Défendre Gaza et rejeter l’islam. Soutenir les banlieues et rejeter l’islam. Extraire les ouvriers maghrébins à leur condition d’exploités et rejeter l’islam. Accepter le rap et rejeter l’islam.
Il n’est pas étonnant que dans ces conditions, une grande partie de la gauche radicale se soit fourvoyée en commettant des erreurs conceptuelles majeures…
– Tout d’abord, ils pêchent par facilité. Ils est plus simple de tout regrouper sous le concept d’intersectionnalité que d’essayer de faire comprendre à un croyant que sa foi l’aliène tout autant que l’homme blanc impérialiste dominant…
– La deuxième erreur consiste à croire que l’islam est une poche de résistance au capitalisme, un refuge et ne pas voir qu’il s’agit d’un phénomène de domination contre un autre et que les deux constituent les piliers de l’aliénation.
– La troisième erreur consiste à mépriser le laïc et l’athée. A leur faire penser qu’ils sont eux aussi des intégristes de leur pensée, alors que celle-ci est en réalité dénuée de toute vérité révélée, ce qui ne peut en aucun cas l’assimiler à une religion.
– Ils confondent ensuite déterminisme et prédestination. Adopter une approche matérialiste ne veut pas dire que tout est écrit, bien au contraire.
– Ils pensent que toute opposition aux religions en général est une opposition à l’islam en particulier. Ils sont pourtant bien placés pour savoir que dans la lutte anticapitaliste nous ne faisons que très peu de distinction entre Areva et Total… Il n’y a pas de « bonne » religion.
– Enfin, et sans doute l’erreur la plus fondamentale, ils confondent spiritualité et religion. La spiritualité ne peut en aucun cas être assimilée à une ” croyance religieuse”, c’est exactement le contraire… Spiritualité et Religion s’opposent conceptuellement. L’une est ésotérique, l’autre est exotérique. L’une relève de l’immanence, l’autre de la transcendance. Et la transcendance est précisément l’antithèse de l’émancipation.
Vous pourriez m’opposer un bon sens populaire en me disant qu’après tout, chacun son combat, peut importe le moyen du moment que les résultats sont là, etc.
Certes, sauf qu’il y a plus grave. Bien au delà du risque de l’avènement d’un pouvoir totalitaire religieux qui relève de la science fiction, du moins on l’espère, l’adhésion de cette frange radicale aux croyances religieuses est un frein majeur aux prises de conscience du danger écologique qui menace la civilisation humaine dans son ensemble. Le dépassement des limites énergétiques, financières, écologiques, économiques, démographiques pourraient aisément passer pour une simple volonté divine, bloquant ainsi toute réaction concertée, destinée, à défaut de pouvoir installer une société durable, à nous préparer tout au moins à un choc systémique. Coutumier du fait, la religion diluerait nos préoccupations de survie de l’espèce dans une logique eschatologique métaphysique.
Nous avons été suffisamment abreuvés des fables du capitalisme, « la main invisible » d’Adam Smith, « la fable des abeilles » de Mandeville, pour nous émanciper de toute fable religieuse. Nous avons pu constater leur ineptie, leur inefficacité. C’est le moment d’ouvrir les yeux. D’arrêter de se réfugier dans les contes, dans les grands récits. Et comme nous le conseillait Hans Jonas, il est plus que temps de penser que le pire peut devenir réalité et que cette réification du pire est le seul moyen de s’en prémunir.
MB.