Petit glissement sémantique anodin en apparence

Comment manipuler les mots pour modifier l’image d’une pratique destructrice en une pratique constructive : l’exemple de la communication…

Au début, elle s’appelait « Propagande »… mais la propagande, c’était sale, trop guerrier…

On a donc décidé de l’appeler « Réclame »….Mais la réclame, ça faisait un peu comme si on réclamait directement aux clients leur argent… Trop visible, trop gênant.

Alors, on l’a appelée « Publicité ». Mais la publicité c’était trop « top down », trop voyant, trop péremptoire, donc attaquable.

Enfin, on a finit par l’appeler « Communication ». Ainsi, personne ne pouvait plus la critiquer, car il est évident que l’on a tous besoin de communiquer.

Ni vu, ni connu.

L’esthétisation de la valeur

Par Martial Bouilliol

Tout le monde connaît la théorie classique de la valeur (Ricardo, Marx…). Tout le monde sait également que cette théorie a été complétée par celle de Walras sur l’utilité marginale puis dépassée à son tour par le concept de l’élasticité-prix de Marshall. Tout le monde s’accorde à penser que la définition de la valeur peut s’articuler autour d’une synthèse de l’ensemble de ces théories. Mais peu d’économistes soutiennent que la valeur procède d’une construction mythique pilotée par le système dominant et que cette construction mythique pourrait occulter l’ensemble des théories économiques de la valeur pour ne plus présenter qu’une théorie esthétique de la valeur. Alors, qu’en est-il réellement ?

Pour déterminer la valeur d’un bien ou d’un service, il suffit en théorie d’additionner sa valeur d’usage correspondant à un besoin et sa valeur d’image correspondant à la mise en jeu d’un affect commun. La somme de ces deux valeurs donnant la valeur d’échange.

La plupart du temps les affects mis en jeu dans la construction de la valeur d’image s’appuient sur une logique anthropologique du désir qui prend racine dans notre rapport à l’altérité. Comme je l’explique dans ma conférence sur « l’Idéologie publicitaire » (Voir ici), cette construction s’articule autour de l’amour propre et du rapport de classes. Nous recherchons dans notre acte consumériste une valeur ajoutée d’image pour nous démarquer des classes sociales inférieures et pour nous rapprocher des classes sociales supérieures. Cette approche a été théorisée pour la première fois par Bernard Mandeville, puis ensuite par Rousseau. Nous la retrouvons également chez René Girard avec la notion du désir mimétique (L’homme désire toujours selon le désir de l’autre) et chez bien d’autres (Marx, Baudrillard… ).

La valeur ajoutée d’image relève d’un processus de construction symbolique permettant au symbole porteur du sens de s’identifier au produit lui même ; Le signifiant devient le signifié. La marchandise toute entière devient valeur d’image. Elle se fétichise. Ce qu’il faut bien comprendre dans ce changement de paradigme c’est la modification de causalité que présuppose cette théorie. C’est notre désir qui confère une valeur à la marchandise et non l’inverse. Ce sont les investissements du désir qui sont les instituteurs de la valeur, nous dit Frédéric Lordon en poursuivant le travail de Spinoza.

La consommation de produit culturel est un formidable exemple de fétichisation du produit consommé et comme preuve de l’inobjectivité de la valeur. La consommation de produit culturel permet de se démarquer des classes sociales inférieures et de s’identifier aux classes supérieures. La consommation de produit culturel consacre le savoir et matérialise la différence. La culture a largement été utilisée par le pouvoir dominant en 1983 tout autant à des fins politiques, pour casser le lien qui unissait depuis 1945 la petite bourgeoisie intellectuelle et le prolétariat, qu’à des objectifs économiques, la stimulation de la consommation. Elle a tellement été utilisée que le produit culturel s’est identifié à sa valeur d’image.

Une œuvre de Damien Hirst par exemple, ne vaut pas par la seule quantité de travail incorporée à l’œuvre, pas plus que pour son utilité marginale ou le niveau de son élasticité-prix, mais bien par le surplus de valeur d’image qu’elle contient. Ce surplus de valeur d’image n’est pas la résultante d’une quelconque mise un jeu d’un rapport entre une demande et une offre. Il n’y a pas plus de demande pour « le requin en plastique dans son aquarium » de Hirst que pour un chien sculpté en ballon de Koons. L’oeuvre de Hirst, ou celle de Koons, est devenue un condensé de valeur d’image au point que la valeur d’usage disparaît complètement. Le prix de ces œuvres n’est donc plus que pure construction sociale, pure convention. La valeur d’échange de ces oeuvres est donc un a priori posé comme tel. Elle résulte d’une construction arbitraire et mythique établie par le pouvoir dominant. Il n’y a pas de valeur en soi, il n’y a que des processus de valorisation. La valeur d’une marchandise ou d’un service est extrinsèque.

A partir du moment ou il n’existe que des processus de valorisation et pas de valeur en soi, c’est le système au pouvoir par le truchement des institutions qui détermine la valeur des marchandises et des services. Et ces institutions déterminent la valeur par la mise en scène des affects communs. Affects communs étant entendus en tant que variation de la puissance d’agir dans la logique Spinosiste. Si nous changions de système nous aurions une hiérarchie de la valeur tout à fait différente. Le travail d’une assistante de vie sociale (AVS), par exemple, pourrait être gratifié d’une valeur plus importante que celle revenant au travail d’un trader. Le prix d’un flacon de Channel N°5 pourrait être inférieur au prix d’une bouteille de lait, tout simplement parce qu’un autre paradigme pourrait engendrer un principe de détermination du prix radicalement différent.

Une nouvelle logique prenant appui sur le matérialisme historique aurait pour le moins l’avantage de nous sortir du principe actuel de négation de la production. Il est assez frappant de constater aujourd’hui que la construction de la valeur induit un déni de la production puisque celle-ci est noyée dans une valeur d’image omnipotente. La valeur d’échange de la marchandise ou du service s’étant intégralement dissoute dans sa valeur d’image, la notion de production de cette marchandise ou de ce service n’a plus d’existence réelle. Le produit fétichisé est fantasmé. Il s’est consumé dans sa consomption.

On voit assez rapidement le bénéfice que peut tirer la classe dominante d’une production occultée. Si la production n’existe plus au yeux de la multitude, sa valeur, de fait, est faible voire nulle. Le travail ne vaut donc plus. Seul le capital reste productif. Le rôle des travailleurs n’est plus central, ce qui justifie la faible part qui leur revient dans l’affectation de la valeur de production entre les différents agents de production . Leur travail ne participe que marginalement à la construction de la valeur et ne nécessite pas en retour de valorisation particulière.

Cette logique justifie toutes les survalorisations du capital par rapport au travail. Les détenteurs du capital sont les grands bénéficiaires de cette esthétisation de la valeur tout en essayant de nous faire croire que la valeur économique est le fruit d’une science quantitativiste. « Les valeurs de l’économie, les valeurs monétaires n’échappent pas à l’ordre commun de la valeur. Les rapports économiques n’échappent en rien à l’empire de l’opinion et de la croyance. » Durkheim.

La structure institutionnelle – pour parler vrai, le pouvoir économique dominant – est productrice des affects communs, et cette production s’opère par un agencement bien pensé entre publicité, communication et industries culturelles. La structure institutionnelle est donc opératrice des fausses valorisations dans le but bien compris de protection du capital des puissants. L’esthétisation de la valeur devient le nouvel enjeu de la lutte des classes.

 

 

 

 

Intégration des classes sociales dans la stratégie de domination néo-libérale

Par Martial Bouilliol

La période Fordiste a donné lieu à une captation de la force de travail du prolétariat au profit de la classe dominante, propriétaire des outils de production. Cette première captation s’est traduite par une contrainte sur les corps. Michel Foucault parlait de société disciplinaire, de Bio-pouvoir….La division du travail est une des manifestations de ce Bio-pouvoir. La captation du savoir et de l’attention participe du même mécanisme. Nous parlons alors de Psycho-pouvoir, puisque celle ci s’exerce sur le psychisme des individus. La captation du savoir et de l’attention a pour but, nous l’avons vu, d’opérer une transformation de la société libidinale, caractéristique de la période Fordiste en société pulsionnelle caractéristique de la période néo-libérale. La société pulsionnelle pourvoit immédiatement à nos futurs désirs, avant même que ceux ci n’aient pu prendre forme, leur construction nécessitant une période de latence. Elle nous contrôle et nous maintien dans le champ de subsistance en court-circuitant notre volonté d’accéder au domaine des consistances.
Dans ce nouveau paradigme souhaité par les think tank, il ne faut pas négliger le travail effectué pendant la période Fordiste qui a rendu possible la constitution de cette société pulsionnelle. La période Fordiste a orienté le désir des hommes vers les objets, travail préalable à tout cloisonnement du champ des consistances.
Ainsi, le nouvel agencement politique permet d’une part l’alimentation automatique de la pompe consumériste du système et d’autre part le contrôle des corps et des esprits afin d’éviter tout phénomène de sédition.
Il est possible à ce stade de préciser et d’affiner la stratégie libérale à l’oeuvre en tenant compte des cibles qu’elle entend activer.
Le pouvoir capitaliste dominant a segmenté sa cible globale en deux catégories : la classe sociale ouvrière et la petite bourgeoisie intellectuelle. Depuis de nombreuses décennies, ces deux classes sociales, parfois rassemblées dans le bloc du même nom théorisé par Gramsci (bloc historique), se sont séparées, la petite bourgeoisie intellectuelle épousant les intérêts de la bourgeoisie. Par conséquent la classe ouvrière s’est retrouvée un peu seule, sans allié, désertée par les forces politiques de gauche, en proie à toutes les tentatives d’instrumentalisation et de manipulation.
Le pouvoir capitaliste ne va pas agir de façon homogène sur ces deux cibles. Examinons tout d’abord l’approche stratégique menée au niveau du prolétariat.
La classe ouvrière ne peut assurer l’alimentation du système. Son pouvoir d’achat est insuffisant. Il n’est pas nécessaire de lui faire adopter une consommation pulsionnelle car celle ci est de toute façon trop faible. Les prolétaires évoluent déjà dans le champ des subsistances et il suffit de les y laisser. Le grignotage des services publics, augmentant le coût des prestations sociales confiées au secteur privé, servira de levier pour mieux les soumettre.
La pression exercée sur le prolétariat permet d’assurer au système l’acquisition d’une main d’œuvre à bas coût, et ceci tant que l’intervention des robots ne s’exerce pas encore à grande échelle… Une fois l’utilisation des robots généralisée, la classe prolétaire sera définitivement rayée de la carte car devenu inutile.
L’approche au niveau de la cible « petite bourgeoisie intellectuelle » est plus délicate.
Pour le maintien de l’équilibre économique du système il est essentiel que cette cible consomme… Il faut toutefois encadrer cette consommation, y injecter suffisamment d’affects joyeux pour qu’elle se mette en branle, mais la contenir dans le domaine de la pulsion afin d’éviter que les sujets n’atteignent le champ des consistances, espace de réalisation psychique pouvant potentiellement favoriser les séditions. Zizek parle d’injonction à jouir. Nous pouvons l’entendre comme une jouissance immédiate, issue de la satisfaction d’une pulsion, bien distincte de la jouissance libidinale caractéristique de la société Fordiste.
Ainsi le capitalisme opère un traitement différencié, adapté à des classes sociales bien distinctes, et permettant l’atteinte d’une efficacité optimale.

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