Intégration des classes sociales dans la stratégie de domination néo-libérale

Par Martial Bouilliol

La période Fordiste a donné lieu à une captation de la force de travail du prolétariat au profit de la classe dominante, propriétaire des outils de production. Cette première captation s’est traduite par une contrainte sur les corps. Michel Foucault parlait de société disciplinaire, de Bio-pouvoir….La division du travail est une des manifestations de ce Bio-pouvoir. La captation du savoir et de l’attention participe du même mécanisme. Nous parlons alors de Psycho-pouvoir, puisque celle ci s’exerce sur le psychisme des individus. La captation du savoir et de l’attention a pour but, nous l’avons vu, d’opérer une transformation de la société libidinale, caractéristique de la période Fordiste en société pulsionnelle caractéristique de la période néo-libérale. La société pulsionnelle pourvoit immédiatement à nos futurs désirs, avant même que ceux ci n’aient pu prendre forme, leur construction nécessitant une période de latence. Elle nous contrôle et nous maintien dans le champ de subsistance en court-circuitant notre volonté d’accéder au domaine des consistances.
Dans ce nouveau paradigme souhaité par les think tank, il ne faut pas négliger le travail effectué pendant la période Fordiste qui a rendu possible la constitution de cette société pulsionnelle. La période Fordiste a orienté le désir des hommes vers les objets, travail préalable à tout cloisonnement du champ des consistances.
Ainsi, le nouvel agencement politique permet d’une part l’alimentation automatique de la pompe consumériste du système et d’autre part le contrôle des corps et des esprits afin d’éviter tout phénomène de sédition.
Il est possible à ce stade de préciser et d’affiner la stratégie libérale à l’oeuvre en tenant compte des cibles qu’elle entend activer.
Le pouvoir capitaliste dominant a segmenté sa cible globale en deux catégories : la classe sociale ouvrière et la petite bourgeoisie intellectuelle. Depuis de nombreuses décennies, ces deux classes sociales, parfois rassemblées dans le bloc du même nom théorisé par Gramsci (bloc historique), se sont séparées, la petite bourgeoisie intellectuelle épousant les intérêts de la bourgeoisie. Par conséquent la classe ouvrière s’est retrouvée un peu seule, sans allié, désertée par les forces politiques de gauche, en proie à toutes les tentatives d’instrumentalisation et de manipulation.
Le pouvoir capitaliste ne va pas agir de façon homogène sur ces deux cibles. Examinons tout d’abord l’approche stratégique menée au niveau du prolétariat.
La classe ouvrière ne peut assurer l’alimentation du système. Son pouvoir d’achat est insuffisant. Il n’est pas nécessaire de lui faire adopter une consommation pulsionnelle car celle ci est de toute façon trop faible. Les prolétaires évoluent déjà dans le champ des subsistances et il suffit de les y laisser. Le grignotage des services publics, augmentant le coût des prestations sociales confiées au secteur privé, servira de levier pour mieux les soumettre.
La pression exercée sur le prolétariat permet d’assurer au système l’acquisition d’une main d’œuvre à bas coût, et ceci tant que l’intervention des robots ne s’exerce pas encore à grande échelle… Une fois l’utilisation des robots généralisée, la classe prolétaire sera définitivement rayée de la carte car devenu inutile.
L’approche au niveau de la cible « petite bourgeoisie intellectuelle » est plus délicate.
Pour le maintien de l’équilibre économique du système il est essentiel que cette cible consomme… Il faut toutefois encadrer cette consommation, y injecter suffisamment d’affects joyeux pour qu’elle se mette en branle, mais la contenir dans le domaine de la pulsion afin d’éviter que les sujets n’atteignent le champ des consistances, espace de réalisation psychique pouvant potentiellement favoriser les séditions. Zizek parle d’injonction à jouir. Nous pouvons l’entendre comme une jouissance immédiate, issue de la satisfaction d’une pulsion, bien distincte de la jouissance libidinale caractéristique de la société Fordiste.
Ainsi le capitalisme opère un traitement différencié, adapté à des classes sociales bien distinctes, et permettant l’atteinte d’une efficacité optimale.

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